Le canal reliant la Deûle à l’Escaut a été abandonné au début des années 80. Oublié pendant des années, il aurait même été appelé à disparaître si un Collectif transfrontalier d’associations ne s’était pas constitué dans les années 90 pour sauvegarder cette voie d’eau intéressante à plus d’un titre: couloir écologique et migratoire, structure du paysage, lieu de promenade, de rencontre, lien social dans les quartiers roubaisiens, lien entre les communes qu’il traverse… Mais la qualité de son eau se devait d’être améliorée car il était devenu, au fil des ans, le bassin d’orage de la vallée de l’Espierre, voire égout à certains endroits.
Un canal sur lequel ne passent pas de bateaux n’a plus de raison d’être, pensaient les politiques.
Il fallait donc lui redonner sa fonction première et faire revenir les bateaux, c’est ce à quoi s’est attelé le Collectif et en 2001, le Canal de l’Espierre est classé au Patrimoine de la Région Wallonne avec ses alignements typiques de peupliers. Écluses et ponts restaurés, lit du canal dragué, pénichettes et bateaux de plaisance sont au rendez-vous.

Les associations s’en réjouissent, c’était le dernier canal « flamand » resté au gabarit et en état de navigation. Mais elles se doivent d’attirer l’attention des autorités sur la santé des arbres qui bordent cette voie d’eau (matures vers 30 ou 40 ans, ils ont été pour la plupart plantés au lendemain de la guerre 40-45). Il devient dangereux de se promener sur le chemin de halage par temps venteux: des branches se cassent et tombent sur le chemin ou dans l’eau.

Ça fait plus de 15 ans que les associations disent qu’il faut GÉRER le site en coupant les peupliers par petits tronçons avec un plan de coupe-reboisement sur 10-20 ans afin d’éviter les coupes à blanc (ce qui provoque souvent une eutrophisation de l’eau avant que les feuillages n’ombragent suffisamment la surface de l’eau).

La RW s’est décidée cet hiver: une campagne d’abattage a été initiée et sur près de 2 km tous les peupliers ont été tronçonnés et remplacés par de jeunes tilleuls. On pourrait s’en réjouir, même si la Commission des Monuments et Sites avait émis un avis défavorable sur ce projet car le remplacement des peupliers par des tilleuls ne respectait pas l’Arrêté de classement du Canal (« alignements de peupliers »). La RW a privilégié le choix du tilleul européen pour ses racines pivotantes et profondes et son port caractéristique proche du peuplier.

Pourtant, n’aurait-il pas fallu quand même envisager de replanter du peuplier le long de ce canal, pour lui laisser un air « d’autrefois »?

Bien sûr, le peuplier n’a pas bonne presse auprès des cours d’eau: primo, ses branches et branchettes se cassent régulièrement et ses feuilles nombreuses prennent beaucoup de place en tombant et s’accumulant dans les cours d’eau et, secundo, ses racines superficielles abiment le revêtement du chemin de halage… du tarmac! Mais ces racines superficielles ne sont-elles pas justement un très bon moyen de préserver les berges. Est-ce que des racines souterraines pivotantes très proches du canal ne risquent pas d’endommager son étanchéité?

Un mélange d’essences arboricoles (dont le saule en têtard, typique de nos régions, et le peuplier -plus largement espacés les uns des autres- mais qui recréerait des alignements verticaux, et tous deux connus pour pomper l’eau du sol) n’auraient-ils pas été préférables dans ces zones humides? Et plus intéressant pour la biodiversité?

Une monoculture de tilleuls, tous du même âge, augure une nouvelle coupe à blanc dans le futur. Bien sûr, quand ils fleuriront, abeilles et butineurs trouveront en abondance du nectar à ce moment-là. Mais ces arbres ont une production plus grande de feuilles- et surtout des fruits très difficilement dégradables dans l’eau- que le peuplier. De plus le couvert du tilleul, plus dense, donne moins de lumière que le peuplier. Est-ce que repartir avec une monoculture ne risque pas de reproduire un scénario du type «platanes du Canal du Midi» (depuis, là-bas, ils ont compris qu’il fallait créer une mixité pour éviter la prolifération de maladies et ils replantent du chêne, de l’érable, du tilleul, du peuplier, du micocoulier, du pin parasol…) ?

Quant à la sécurité: les branches de tilleuls tombent aussi, et sont plus lourdes !

Saules et peupliers ont une croissance rapide et captent probablement plus de CO2 que le tilleul. Ils sont bien moins cher à l’achat (boutures) et, contrairement à ce que dit la RW, demandent moins d’entretien que le tilleul (le tilleul a énormément de rejets au pied du tronc qu’il faut continuellement tailler).

Et pour couronner le tout, une nouveauté est prévue: l’éclairage de nuit d’un tronçon (pour commencer!), un éclairage « dynamique » qui s’allume et s’éteint au rythme des passages nocturnes. Un luxe absolument pas nécessaire: qui se promène les soirs sombres en hiver le long du canal ? Et l’été, il fait clair plus longtemps. Ce qui est sûr déjà, ce sera une pollution lumineuse néfaste à la faune, une de plus… en zone classée.

          Xavier Adam

pour la revue ECO-VIE de mai 2018

avec son autorisation